" Le deviseur du monde "
Nouvelle de Chantal
Robillard
mise en page Jean-Antoine Scarpa
Il la bichonnait, sa Rosette, et de temps en temps la repeignait. En bleu, un peu canard, un peu pétrole, et il poussait alors, «léon, léon !», le sauvage cri de guerre des Indiens paons, pour nous faire peur. Ou péons, ou paounis, je ne sais plus comment il les nommait. Cette barque servit, dans nos montagnes, en tout et pour tout une fois. Pour moi, lors d’une fête de l’école primaire. On l’avait ficelée sur une carriole, décorée d’une guirlande de roses en papier de soie. Dedans, tout joufflu, je sortais des plis d’un gros chou rouge, en papier lui aussi, et il ne fallait pas bouger pour ne pas le déchirer trop vite. La photo de l’époque est en noir et blanc : on ne voit pas le joli contraste que formait ce bébé cadum dans son chou framboise au milieu du bleu particulier de la Rosette, dommage. |
Un paisible dimanche de mai, cinq ans après sa retraite, sans crier gare, le pépé Berto disparut. Avec sa valise et quelques nippes. On le chercha au village, aux alentours, au PLM : personne ! Et ça dura, ça dura. On avait beau aller voir tous les soirs passer la micheline du Cévenol, au cas où il en descendrait, penaud ou fiérot, bernique ! Les parents se chagrinaient, tempêtaient, pleuraient, criaient, soufflaient comme une locomotive qui s’alentit dans les montées, rien à faire : le pépé était entré tout cru dans la légende dorée de la famille. |