" Le deviseur du monde "
Nouvelle de Chantal
Robillard
mise en page Jean-Antoine Scarpa
Il inventait tellement que nous ne pouvions plus croire à tout, singulièrement une certaine ville, pour lui «la» ville des villes, «sa» cité sur mer, qu’il nous décrivait comme un gros baleineau paresseux, échoué sereinement sur sa lagune, le fondement dans l’eau saumâtre. Il disait y avoir vécu, au cours de relâches, avec son copain Paulo. Il la plaçait plus haut que tout. Elle semblait en danger, sa merveille des merveilles : il évoquait des hivers terribles où la mer envahissait places et champs (tiens donc, une ville lacustre avec des champs parmi les maisons ? allons, allons !) et tous les rez-de-chaussée non protégés par des pare-eaux de fer. Franchement, malgré notre bonne volonté, on ne gobait pas cela, ce n’était pas pensable ! Imperturbable, il nous décrivait de longs chemins de bancs hauts sur pattes, qui menaient d’un champ à l’autre, d’un quai à l’autre, jusqu’à la grande place terminale où l’Express des nuits d’orient, salvateur, attendait le touriste trempé pour le rembarquer aussi sec. |
Il nous dessinait le plus beau boulevard du monde : une avenue d’eau, vous voyez ça d’ici, où l’on circulait en vapeur, qu’il prononçait «vaporé». Et sur les bords de ce boulevard se baignaient, je vous le donne en mille, des palais ! Des palais magnifiques, avec des plafonds «tintorés» (et encore un mot inventé de toute pièce !). Et les mammouths, demandions-nous, ils nageaient sur l’eau ? Ah non, pas de mammouths en ville, mais des lions, bien velus bien dodus, un peu partout. Et même, on y entendait un phénix, dans cette ville de prodiges ! |