" Le deviseur du monde "
Nouvelle de Chantal
Robillard
mise en page Jean-Antoine Scarpa
Le vieil Italo parlait français, enfin un poco. On finit par se comprendre. Il avait reconnu la barque d’après la description qu’Umberto lui avait faite. Ici, on attendait depuis plusieurs années que la Rosetta fabuleuse vint à rejoindre enfin son propriétaire. Seulement, entre temps, l’Umberto, il était mort à l’hôpital, et tout récemment : il y avait à peine quatre jours, on avait envoyé aujourd’hui même une lettre à la famille pour prévenir. Mort du cœur. De chagrin, grommelait le marin, d’un ton de reproche, de ce qu’on ne lui avait pas apporté assez vite son embarcation jusqu’ici, poverino. On ne sut jamais s’il m’avait entendu l’appeler, de sa chambre d’hôpital... Ostrega, marmottait Italo, qui nous donna à contrecœur la clé de l’appartement du pépé, tout près de là. Une surprise nous y attendait : posés sur la table de cuisine, à côté du pot de confiture et d’un bol sale, où un fond de café faisait encore dépôt, une sorte de gros vase bleu canard, bouchonné de doré, et une lettre. |
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On découvrit alors que ce bon vieux Pépère à la noix de coco avait gagné au loto. Parti vexé, puisque chez nous personne ne le croyait jamais, mais millionnaire, il était venu s’établir ici, pour y «couler ses jours restants». Il avait acheté un étage entier de palazzetto, mazette, sur les Zattere, juste à côté de la Capitainerie, pour y admirer du balcon les plus beaux couchers de soleil du monde. Quand il n’allait pas sur la lagune guetter son rayon vert... La lettre disait aussi qu’il se languissait bien de sa Rosette, qu’il attendait de pied marin n’importe lequel d’entre nous, c’était égal, pourvu que ce fût avec sa barque bleue. Celui qui l’apporterait hériterait seul de l’appartement et des restes du magot… A une seule condition. |