I merletti di Cenerentola

Chantal Robillard

- Ah, soupire-t-il pour lui-même, ma princesse.

De qui parle-t-il ? Il ne répond pas. Il semble épuisé, porte la main à sa poche, sort distraitement un nouveau cigarillo, se souvient à temps qu’elle ne supporte pas la fumée, range le paquet avec un petit sourire d’excuse.

Il lui parle de ses espadrilles. Il ne sait pas si elles tiendront longtemps, c’est du cuir de fort médiocre qualité, pardon Signorina, mais elles ne sont pas trop petites, simplement elle avait les pieds gonflés par la marche, c’est pour cela qu’elle a eu mal ; si elle avait pris la taille au-dessus, elle aurait flotté dedans dès le lendemain. Il assortit ses phrases de détails techniques, il semble en connaître un rayon sur les chaussures. Curieux pour un marin.

Mais est-ce bien un marin ? Elle le lui demande.

Il répond en parlant tout à coup d’une petite ville alsacienne, en France, où il a cherché et puis retrouvé une jeune femme qu’il avait aimée autrefois. Il dit qu’elle est morte presque aussitôt après leurs retrouvailles, un arrêt cardiaque. Voilà, trop de joie, il l’a tuée en voulant la revoir. On ne doit pas revoir ses anciennes amours ( n’a-t-elle pas entendu « je » ? ). Depuis, eh bien depuis il va, il marche, il navigue, il vole même, oui, il a fait la traversée du Pacifique en ballon, le tour du Cap Horn à la rame. Il a même perdu une chaussure, comme elle, une fois, dans les eaux turbides de l’Atlantique au large des Açores, ou plutôt non, dans les Cyclades près de Santorin, enfin non, il ne sait plus exactement où, cela n’a aucune importance.

Il rame, oui, on peut le dire, récapitule-t-il en la regardant gentiment. Mais pourquoi lui dit-il tout cela ? Il la fixe intensément et demande d’un air bizarre :

 - Votre mère, Signorina, parlez-moi de votre mère s’il vous plaît …

 

La Cenerentola dit qu’elle regrette, sa mère est morte à sa naissance, elle ne l’a pas connue. Que son père, décédé peu après son remariage n’était pas son vrai père, on l’a su à sa mort, un beau scandale, mamma mia, que sa belle-mère a attisé. Une véritable marâtre, qui ne l’aime pas. L’homme hoche la tête, il comprend. Ah, Signorina, ah.

La jeune fille ne s’est jamais sentie aussi bien avec un inconnu, elle s’en étonne elle-même, et d’ailleurs ingénument elle le lui dit.

 - Ah, fait-il d’un air désolé.

Sourire navré, sourire amer, air en connexion avec son souvenir.
Commune nausée en mémoire ?

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