I merletti di Cenerentola

Chantal Robillard

Il a fini de masser les pieds, il la regarde paisiblement. Elle rit, elle se sent merveilleusement bien, elle lui parle enfin, veut savoir où il va. Il a un gentil sourire un peu las.

- Ah ! dit-il simplement, je voyage.

Son italien est parfait, avec un léger accent indéfinissable. Elle lui demande où il a appris sa langue. La réponse est tout aussi floue.

- Je parle beaucoup de langues. Quand on voyage, c’est indispensable…

Elle lui demande s’il est déjà venu à Venise. Et il sourit, pour aussitôt s’assombrir.  

- A diverses époques. Je connais chaque rue, pourrait-on dire. Ah ! pourtant, j’aurais préféré ne jamais revenir ici. J’ai des souvenirs trop… 

Sa voix se brise un peu, il ne continue pas. Il allait dire heureux, elle est sûre qu’il allait dire ce mot et cela signifie bien qu’il ne l’est plus. Il l’interroge à son tour : il n’a pas eu le temps de tout revoir à Venise, il recherchait tel magasin de cordonnerie qu’il n’a pas retrouvé. Et aussi un hôtel et une auberge qui ont changé de nom, donc certainement de propriétaire. Il y a si longtemps qu’il n’est pas revenu, presque vingt ans !

La Cenerentola est bien étonnée. Elle ne connaît pas l’auberge, le magasin n’existe plus depuis une bonne cinquantaine d’années, quant à l’hôtel, il a été détruit dans un incendie il y a quinze ou seize ans, l’immeuble reconstruit est devenu une banque européenne.

Survivance, souvenirs, oui, mais sans remise en cause on commence à s’user ici.
Venise se recrée sans cesse. Mourir à Venise, sans ses amarres.

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