I merletti di Cenerentola

Chantal Robillard

Il n’y a personne dans cette partie arrière du navire, car il y fait chaud et les vitres sont trop sales pour bien voir le paysage. La Cenerentola en profite pour allonger ses jambes sur le banc en vis-à-vis, après avoir enlevé les abominables tatanes de Giuseppe. Elle s’assoupit un moment.

Pour se réveiller, affolée, car quelqu’un est en train de lui tripoter les pieds en douceur ! Elle hurle de surprise et va pour se sauver, mais cette fois le marin la retient fermement de ses bras musclés.

 - N’ayez pas peur, Signorina, je veux simplement vous masser les pieds.

Elle est terrifiée mais la voix est si douce, l’air de l’homme si paisible, elle est si fatiguée, qu’elle se rassoit sans un mot. Se laisse faire, presque hypnotisée. L’individu s’est assis en face d’elle, a posé ses petits pieds sur lui et entreprend de les masser, en expert, avec une huile aromatisée au basilic et au menthol, sortie de sa poche. Ça sent bon, c’est tiède, pas gras du tout.

La Cenerentola grimace au début, cela fait mal sur les ampoules, mais les mains sont habiles, douces, ses pieds se rafraîchissent délicieusement sous le baume. L’homme chantonne une sorte de berceuse qui la calme vraiment en quelques minutes.

Tout en attendrissant les pieds échauffés, il se met alors à parler. Sobrement. Il dit venir de Malte, avoir beaucoup marché autrefois, et encore maintenant, et bien savoir ce que sont des pieds douloureux. Il hoche la tête, d’un silence qui en dit long. Elle le croit. Étrangement, alors qu’elle a eu si peur ce matin, cet homme un peu triste lui inspire maintenant confiance. Elle ne sait toujours pas si c’est lui qui la suivait, mais en est presque persuadée. Et comme il est beau et imposant. Elle se sent très attirée.

Il y a pourtant ce costume un peu ridicule. Serait-ce un acteur de la célèbre troupe récemment arrivée à la Fenice ? Son visage lui dit vaguement quelque chose. En tout cas, il est grave et tranquille, mais le fond de nostalgie dans ses yeux ne trompe personne : cet homme n’est pas vraiment heureux.

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