I merletti di Cenerentola
Chantal Robillard
Elle enlève discrètement son espadrille droite, masse son talon rougi, regrette de ne pas avoir de talc, et surtout d’avoir jeté dans une poubelle la seule chaussure qui lui restait. Elle aurait pu au moins soulager ce pied-là pendant la traversée. - Je vous demande pardon, Signorina, est-ce que ceci ne serait pas à vous ? La voix grave, légèrement ironique, la fait sursauter. Le marin d’opérette est à genou devant elle et lui tend sa sandale gauche, perdue tout à l’heure en ville. Elle le regarde, désarçonnée et furieuse en même temps. - C’est vous qui m’avez suivie ? réplique-t-elle vertement, les yeux étincelants de colère. Rendez-moi cela immédiatement, ou plutôt allez le jeter dans une corbeille ou à la mer, je n’en ai plus besoin. L’homme se penche pour lui mettre la chaussure au pied. Elle se lève dès qu’elle comprend le geste et, de rage, attrape la chaussure et la balance par-dessus bord, loin sur la lagune. La rapidité et la force de son geste la surprennent elle-même. Le marin hausse vaguement les épaules, désappointé et va se rasseoir à la même place. Quelques touristes, assis près d’eux, ont assisté à la scène et marquent leur désapprobation en la regardant méchamment et en commentant les faits dans leurs idiomes respectifs. Elle se relève, très gênée, redescend l’escalier en vrille et va dans la cabine vitrée pour les passagers qui craignent le vent. Ici au moins, elle sera tranquille. Mais quelle journée, elle s’en souviendra, et doublement ! Elle referme les yeux, tandis que le ferry contourne Murano pour se diriger vers Mazzorbo et les autres îles.
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Mon Ramiro, mon
amour, ne m’en veux mie, mon cœur se consume. |