I merletti di Cenerentola
Chantal Robillard
C’était bien la peine d’aller hier, en cachette de sa belle-mère, à l’institut de beauté, se faire épiler, gommer, masser, soigner la peau du haut en bas. Elle va avoir des pieds hideux, voire blessés. Il ne manquerait plus qu’elle se fasse mal ! Elle doit avancer prudemment, bien que le plus vite possible. Elle repense à la monnaie qu’elle a dans son panier. Qui n’est pas à elle. Qu’elle n’a pas le droit d’utiliser, sinon la belle-mère… Pourvu que Giuseppe veuille bien lui faire crédit, pourvu que la Tisbetta ne soit pas là, pourvu… |
La Cenerentola arrive enfin sur le Campo San Stefano. Le magasin est ouvert, bien sûr. Mais il y a du monde, la Tisbetta est en grande discussion avec son livreur au milieu des cartons, Giuseppe est seul à servir plusieurs Américaines. Lesquelles veulent toutes le même modèle, dans la même taille et la même couleur. Il lui fait un signe complice, l’air de s’arracher les cheveux, oh les bougresses, on n’a pas idée, avec tout le choix que j’ai à offrir ! Le sieur Dandini est inaccessible, pour l’instant, il n’a pas vu son regard suppliant ni son pied gauche nu. Ou il a fait comme si. La Cenerentola se retourne vers les différents étals, cherche des yeux sa pointure, dans le modèle le moins cher possible, compte sa monnaie. Tant pis, elle refera un détour pour aller chercher sa carte bancaire à la maison, elle est trop pressée. La journée la plus importante de sa vie. Il ne faut pas la gâcher, il ne faut pas se mettre trop en retard, de quoi aurait-elle l’air. |
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Elle laisse l’argent sur le comptoir, glisse à Giuseppe quelques mots, qu’il semble ne pas entendre, tout occupé à enfiler à une énorme Texane un escarpin en lézard visiblement trop long pour son pied large et courtaud, mais qu’elle tient à essayer avant ses siamoises. |
Vaines menaces, mais une
Américaine convaincue ne se surmène ainsi.
Ne s’en émouvoir, ne s’animer. Renoncer. Zen. Ça ira, va, ça ira.
Retour à suivre : Lundi prochain