Le Campiello perdu

Nouvelle d'Albert Valée

chapitre 6

 

Rien qu’à son regard j’ai compris qu’on pouvait se dispenser de consulter le dico italiano-francese qui devait traîner chez lui.
Nous avons quitté la place par un chemin opposé à la direction que les ménagères m’avaient indiqué pour rejoindre " Santa Crotché " mais que pouvais-je dire ?
Le gosse, lui, il n’arrêtait pas une seconde :
- San Silvestro, Signoré !… riva del vin ! Rialto, Signoré - merci bien, j’avais déjà vu ! - herbéria, signoré… Tribounalé e Pescaria…
- Oui mais, Santa Croce ?
- Si Signoré, là !

Et quelque soit l’angle que nous formions avec le soleil, il me montrait toujours droit devant lui.
Je commençais à comprendre pourquoi Pépin le Bref s’en était retourné complètement dégoûté de sa balade en Vénétie ! Il avait dû demander la route à ce gosse !
L’espérance dans un état encore plus sec que ne l’était celui de mon gosier, je le suivais donc sans plus réagir lorsqu’il m’a dit :
- Sotoportégo, Signoré ! a sinistra… encora sinistra… il campiello, Signoré !

Devant moi, la carte postale en trois dimensions. Le petit puits, là, au centre… et cet escalier qui monte là, à ma droite…
Je serais passé cent fois devant, je l’aurais même pas vu dis-donc !
Pourtant, j’suis pas plus con qu’un autre quoi !
Alors c’était vrai qu’il m’y avait emmené ce môme ! Certainement que la tronche à Pépin ne lui avait pas plu à l’époque.
Mais qu’est-ce qu’il attend maintenant pour retourner à ses jeux, le Michaèèèllllé ? Ah oui, c’est vrai.
Je sors donc cinq euros de mon portefeuille et les lui donne.
- Ma Signoré ! ? Porca miseria ! Venti ! Venti, signoré ma no cinque !
- Dis-donc gamin ! Les affaires sont dures pour tout le monde ! Bizness duro hein ! D’accordo ?
- Ma no, signoré ! venti !
- Hé gamin ! j’ai dis que je te filerais DES euros… j’ai pas précisé combien ! D’accordo ?

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