Le Campiello perdu

Nouvelle d'Albert Valée

chapitre 2

      D’accord, entre nous c’était plutôt l’amour vache. Chacun son trip, le tout c’est d’avoir le même lorsqu’on est deux.
Nous donc, on aimait s’envoyer des vacheries à longueur de journée. C’était comme un jeu. Un jeu à qui placerait la dernière vanne qui tue. Dans l’ensemble, c’était fort équilibré.
Enfin, ça dépendait des jours.
Puis un soir du mois de juin de l’an passé, elle a pas trouvé la réplique qui fallait. Pourtant c’était pas dur, j’avais juste sorti :
- Ben dis-donc, tu t’es lavée les tifs à l’huile de lin ce matin ? Y’a plus qu’à pigmenter, on pourra repeindre les murs !

Une gentillesse quoi venant d’un peintre en bâtiment.
Comme ça faisait trois jours que j’arrivais à la chambrer en dernier, elle m’a bousculé en passant dans le salon.
En chutant, j’ai défoncé la vitrine à vaisselles et aplati l’affreuse soupière que sa mère nous avait offert.
Qu’est-ce qu’on a rit ! De vrais mômes.
C’était le 29... c’est bien ça, le 29 juin ; vous pensez si je m’en souviens, c’était un vendredi, le jour où je vais me bourrer la tronche avec les potes.
Ben ouais quoi ! J’suis un homme ! Je bosse toute la semaine, j’ai bien le droit de m’amuser le vendredi soir !
Donc, j’allais partir lorsqu’elle a quand même trouvé une vacherie pas piquée des vers. Une du style : " tu vas encore te cuiter pour venir tout dégueulasser après ? Espèce de saloperie d’ivrogne ! "

Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? C’était vraiment LA vanne qui tue !  
Et puis, j’avais pas vraiment le temps de chercher là ! Les potes m’attendaient.
Alors, pour pas rester sans rien dire comme le premier des ballots venu, je lui ai filé une beigne.
Ouais ! Je riais encore en arrivant au bistro.
Super sa vanne !

         C’est le lendemain, lorsque j’ai émergé que je me suis rendu compte qu’elle s’était tirée en emportant toutes ses affaires. Quand j’y pense, je ne me souviens même plus si elle était encore là lorsque je suis rentré.
- Amnésie temporaire ! Pas grave ! - qui dit toujours mon pote Steeve, quand il arrive encore à parler.
La vache de Sandrine ! C’est pas parce qu’elle ne trouvait plus de vannes à me débiter tous les soirs qu’elle devait partir…
j’aurais compris quoi.  On aurait changé de jeux. Une petite bousculade par-ci, une petite beigne par-là, on aurait continué à s’amuser.
C’est vrai quoi !
J’suis pas plus con qu’un autre... j’aurais pu comprendre qu’elle était parfois à court d’imagination.
Fallait pas qu’elle se sauve honteusement pour si peu !

      À bien vous regarder, je crois que ça ne doit pas vous intéresser, mon histoire ! Si si ! Je le vois bien.
Je vous disais donc que là, sur le parvis de la gare, j’avais déplié ma carte de Venise, puis aussi sec, je lui avais fait reprendre ses plis originaux avant de la replacer dans ma valise.
En l’y laissant depuis le début, j’aurais au moins évité de disperser mon influx nerveux.
C’est mon psy qui me disait cela à chaque fin de séance : " vous devez concentrer votre influx nerveux vers le but à atteindre ! ça nous fera cinquante-trois euros ! "
Vous voyez, lui… il savait très bien comment le concentrer son influx.

 

Suite ...

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