Énigmes de Stef*           Le Tableau           Mise en page Jas

Le serveur partage le plat ovale en terre cuite en deux portions égales. Les tronçons d’anguilles en premier lieu qu’il nappe ensuite d’une onctueuse sauce au vert flambant. D’ineffables effluves où se bigornent sauge, sarriette, persil, citronnelle, oseille, cerfeuil, échalote, beurre et vin blanc explosent dans nos assiettes débordantes.  

-Trouver cette porte fabuleuse serait la nouvelle tâche du Campiello, je suppose?

-Exact, Corto. Une série de mystères nous amènera au seuil de cette excitante expérience. Soeur Alphonsine aurait confié à Rathe la cachette de la première énigme. A l’intérieur d’un crucifix en argent, entre ses mains, sur sa poitrine, dans son cercueil, dans sa tombe ici même au cimetière de Damme…

-Diantre ! Alfredo et Agusto sont chargés de dénicher la croix en argent, je présume ?

-Oui, Corto. A minuit pile, nous devons les rejoindre aux pieds de van Maerlant … avec le crucifix de Soeur Alphonsine, si les dires du pauvre Petrus ne sont pas une affabulation.

La patronne elle-même se déplace pour nous servir un piquant Roquefort.

-Votre taxi vous attend, Messieurs, ajoute-t-elle sans quitter Corto des yeux.

-Le temps de faire honneur à ces fruitées Premières Brumes, et mettons-nous en route. Campielliste, sais-tu ce qu’est devenu la mémoire de ce pauvre Rathe?

-Sa famille et ses amis se sont battus de longues années pour décrier une accusation sans fondement, un procès en tous points inique et précipité. Mais malgré les nombreux efforts réalisés pour réhabiliter le jeune soldat, malgré toutes les incohérences flagrantes du dossier, rien n’y fit. Petrus Rathe n’aura jamais son nom gravé sur le monument à la mémoire des citoyens de Damme morts pour la Patrie…

 

La route des canaux est déserte.

Les phares de notre taxi éclairent un à un les grands peupliers jusqu’au centre de Damme. La petite place et la maison communale au double escalier brillent sous les pleurs de la nuit fraîche. Minuit résonne au clocher de l’église Notre Dame. Alfredo et Agusto devisent silencieusement au pied du prestigieux écrivain flamand.

-Dis Campielliste, il n’y a pas que les canaux de Napoléon qui rapproche cette cité de Venise! lance Agusto. Regarde bien la statue de van Maerlant.

Cela ne te rappelle donc rien ?

   

-Bien vu, Agusto! Mais venons-en à votre mission.

-Un jeu d’enfant! Le “Coeur enflammé par la divine lumière” n’était autre que l’effigie d’un imposant Sacré-Coeur dominant la sépulture, les mots “Komt tot mij” gravés à ses pieds.  Sur la pierre tombale, nulle inscription. Faut croire que Soeur Alphonsine devait déranger plus d’un, pour ne pas même y trouver son prénom!

-Le caveau et le cercueil n’ont posé aucun problème, reprend Alfredo. J’ai alors soulevé délicatement le tulle de Malines en commençant par le haut. Vous ne me croirez pas. Le visage de Soeur Alphonsine est … intact. Un ravissant minois ourlé d’un troublant et magnifique sourire. Soeur Alphonsine, sosie de l’inconnue de la Seine … vous raconterez à W.L.!J’ai légèrement descendu le voile vaporeux pour découvrir les mains de la nonne cramponnées à l’objet de nos recherches. Les doigts roses d’Alphonsine ont abandonné aisément le crucifix argenté.

 Le voici!    

         

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