Qui a dit qu’en Belgique les trains arrivent toujours en retard !?! Le mien a trois énormes minutes d’avance sur l’horaire.
Je salue ma délicieuse et occasionnelle compagne de voyage.

-C’est ici que je descends, mademoiselle. Bon séjour à vous à Ostende.

Je traverse rapidement le vaste hall aux fresques vermeilles et mordorées. Une sublime affiche annonce la rétrospective Constant Permeke. Il me revient alors en mémoire, les fiancés du monumental expressionniste flamand. Quelle puissance !

A l’extérieur la grande horloge ronde suspendue au beau milieu des cinq colonnes vitrées qui rythment l’énergique façade jaune de la gare de Bruges indique dix-neuf heures.
L’obscurité qui tombe en bruine rutile les capricieux pavés de l’esplanade.
Sur la droite, un chauffeur de taxi, ramassé sur le capot ronronnant de son véhicule, fume une cigarette. A gauche, je reconnais mes deux amis vénitiens assis sur les inconfortables fauteuils de pierres bleues qui ornementent les lieux.

-Alfredo Bacchini*, Agusto Rigato**!

Avez-vous fait bonne route?

-Tout à fait, Campielliste ! Dommage que nous n’ayons pas eu le temps de flâner dans Bruges.

Nous avons déposé Corto Maltese au Siphon.

Maintenant, si tu veux bien nous mener au cimetière de Damme, le taxi est là qui nous attend.

-En avant, dans ce cas!

La confortable berline s’engage sur le large anneau qui ceint les douves de la Venise du Nord. Les cyclistes nombreux rentrent prestement chez eux. La nuit s’annonce froide et pluvieuse.

A hauteur de la porte d’entrée majestueuse de la ville de Bruges, notre taxi tourne à droite sur la route où des centaines de peupliers montent une garde orgueilleuse tout le long du canal de Damme.

-Avec un ciel si gris qu’un canal s’est pendu, avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner…
Messieurs, le voici, le fameux canal du Grand Jacques !

Creusé sous l’ordre de qui?

 Je vous le donne en mille!

Du grand Napoléon!

Comme quoi, il n’y a pas que dans votre vénérable Venise que le Corse a bouleversé le cours des choses!

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