Aucun pur-sang gavé de soins, aucun cheval de guerre couvert de cicatrices n'a pu se flatter d'une carrière aussi romanesque que ces chevaux-là.
Leur origine se perd dans la nuit des temps ; peut-être sont-ils grecs, attribués à Lysippe au IIIe siècle Av JC. Volés par les romains, nous savons qu'ils furent transportés de l'arc de Trajan à Rome jusqu'à Constantinople où on les installa sur la tour de l'Hippodrome. C'est là qu'Enrico Dandolo les vola à son tour en 1204 pour les emmener à Venise.

Le sabot de l'un d'eux se trouva brisé en chemin et le capitaine du navire, Morosini, le conserva en souvenir et le fit placer plus tard au-dessus de la porte de sa maison, Campo Sant'Agostin.

Les chevaux furent restaurés à Venise et installés d'abord à l'Arsenal. Mais bientôt ils gagnèrent leur position grandiose à Saint Marc et ils devinrent si bien symbole de la gloire et de l'orgueil de Venise que les Génois, combattant contre Venise, se vantaient d'être sur le point de "passer la bride aux chevaux de Saint Marc".

Ils sont de nouveau volés par Bonaparte en 1798. Les soldats du génie de Napoléon les descendirent à grand-peine de la Basilique (ils pèsent huit cent kilos chacun) et les emmenèrent à Paris où ils restèrent treize ans sur la place du Carrousel.

Après Waterloo, les Autrichiens les ramenèrent à Saint Marc en 1815.  Les originaux sont maintenant à l'abri des intempéries (et du vol ?) à l'intérieur de la basilique.

Source : "Visa pour Venise" de James Morris